Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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À Nantes, un des quatre postes de juges d’application des peines est vacant depuis plus d’un an

Orientation et programmation pour la performance de la sécurité intérieure : conclusions de la CMP -

Par / 8 février 2011

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 20 janvier dernier, la majorité du Sénat adoptait ce projet de LOPPSI II en deuxième lecture.

Le lendemain, vous annonciez, monsieur le ministre, le détail des chiffres annuels de la délinquance pour 2010. Je trouve que le Gouvernement impose au Parlement une méthode pour le moins paradoxale ! Avant tout vote sur ce projet de loi, il eût été plus pertinent d’en débattre à partir de l’analyse de chiffres précis, des nombreux rapports et analyses sur le bilan de votre politique et de vos multiples lois depuis 2002.

Vous justifiez l’inflation législative répressive que vous suscitez par la nécessité d’adapter toujours plus la réponse pénale et de prendre en compte les nouvelles formes de délinquance. Soit ! Mais pour quel résultat ?

Selon vous, la délinquance aurait baissé en 2010 de 2,1 % ; vos résultats seraient donc bons. Il me semble que cette appréciation mérite d’être relativisée quand, par exemple, le nombre des violences aux personnes – celles qui touchent le plus profondément nos concitoyens – ont une nouvelle fois augmenté de 2,5 %. Les femmes ont été particulièrement visées : les agressions sans arme sur la voie publique les concernant ont augmenté de 13 %.

En réalité, le bilan de votre politique en matière de lutte contre la délinquance est peu probant. Ce n’est pas faute d’avoir, depuis 2002, fait voter par le Parlement des lois toujours plus dures !

Ce texte sera la vingt-troisième loi sécuritaire depuis la loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, dite « LOPSI I ». Je ne pense pas que lui accoler le terme de « performance » contribuera à la rendre plus efficace ! Par conséquent, à quoi bon cette nouvelle loi ?

Permettez-moi de douter, en effet, du bien-fondé d’une logique législative inflationniste dont les maîtres-mots sont « stigmatiser », « ficher », « surveiller », « punir » et « enfermer ».

Les événements horribles qui viennent d’avoir lieu nous amènent une nouvelle fois à poser cette question. Nous sommes tous affreusement choqués par le meurtre atroce de la jeune Laëtitia, par la terrible souffrance infligée à sa famille et à ses proches.

C’est cette horreur même qui rend encore plus inquiétants et inacceptables les nouveaux écarts de langage du Président de la République, oubliant tout de ses promesses de 2007 et désignant des coupables : « Ceux qui ont couvert ou laissé faire cette faute ».

Vous-même, monsieur le ministre, et votre collègue garde des sceaux, étiez déjà partis à la chasse aux lampistes ! Cette attitude est indigne du respect dû à la victime et à ses proches dans un moment où la gravité est de mise.

C’est une insulte aux personnels qu’ils soient conseillers d’insertion et de probation, qu’ils soient juges d’application des peines ou policiers.

Avec leurs organisations syndicales, avec leur hiérarchie, ils tirent depuis longtemps la sonnette d’alarme sur l’impossibilité de faire leur travail dans des conditions normales en raison de l’insuffisance évidente des effectifs.

Le Gouvernement a toujours refusé de les entendre. Et aujourd’hui, ce seraient eux les responsables ?

À qui ferez-vous croire que créer un office de suivi pour le repérage des délinquants dangereux, des cellules départementales de synthèse et de recoupement, renforcer – encore et encore – le fichage serait d’une quelconque utilité ?

Il est plus qu’urgent de regarder la réalité en face, de cesser d’affirmer que la révision générale des politiques publiques, la RGPP, est la bonne voie et qu’il faut inscrire la maîtrise des déficits publics dans la Constitution. Les dépenses publiques – ne vous en déplaise ! –, ce sont les dépenses utiles à nos concitoyens.

Il manque 1 000 conseillers d’insertion et de probation rien que pour couvrir les besoins nouveaux issus de la loi pénitentiaire, et encore plus pour assurer un suivi régulier des personnes dont ils ont la charge.

À Nantes, ils suivent en moyenne 135 dossiers, alors que les recommandations définissent un seuil de 60 dossiers maximum. Je connais, monsieur le ministre, votre goût pour les exemples étrangers : au Canada, le suivi est de 40 dossiers par agent et en Suède, il y a un agent pour 25 délinquants.

M. Roland Courteau. En effet !

Mme Éliane Assassi. À Nantes, un des quatre postes de juges d’application des peines est vacant depuis plus d’un an et chaque magistrat doit suivre plus de 1 300 mesures. C’est le lot commun de la plupart des juridictions !

Quant aux policiers, ce projet de LOPPSI II est emblématique, puisqu’à la police de proximité vous voulez substituer des techniques « modernes » – cyber-patrouilles, mouchards, vidéosurveillance… –, des policiers municipaux à la charge des collectivités locales et des personnels de surveillance privés.

Vous avez vous-même indiqué, monsieur le ministre, que le Syndicat national des entreprises de sécurité comptait recruter plus de 100 000 personnes sur les 10 prochaines années ! Un chiffre qu’il faut mettre en parallèle avec les 12 000 suppressions de postes de policiers depuis 2002.

Vous éloignez la police nationale des citoyens. Ne nous étonnons pas si des tensions ont grandi entre les uns et les autres. Partout, les commissariats voient leurs effectifs baisser. Dans le département dont je suis l’élue, au Blanc-Mesnil par exemple, les effectifs du commissariat sont passés de 140 agents en 1999 à 95 en 2010 alors que, dans le même temps, la population augmentait de 10 %. Dans la petite couronne de Paris, les missions de proximité sont remplacées par une police d’agglomération centralisée qui ne connaît pas le terrain. C’est la fin de toute politique nationale de dissuasion !

Les collectivités locales sont invitées à se doter de polices municipales, en lieu et place de policiers nationaux formés.

L’Association des petites villes de France vient de publier des résultats éloquents : ils montrent une forte corrélation entre la réduction des effectifs de sécurité de l’État et le recrutement des policiers municipaux.

M. Roland Courteau. Exactement !

Mme Éliane Assassi. L’association dénonce un « transfert de charges insidieux de l’État vers les communes » et appelle celui-ci à ne pas se défausser d’une compétence régalienne sur les collectivités.

Allons-nous voir un jour une police supplétive de rétablissement de l’ordre intervenant en appoint des polices privées ou semi-privées, qui plus est de plus en plus lourdement armées ?

M. Roland Courteau. Il se pourrait !

Mme Éliane Assassi. Dans la même logique, vous incitez les communes à développer la vidéosurveillance. On sait pourtant que celle-ci est très coûteuse et peu efficace. Vous allez jusqu’à confier au privé le visionnage des images et lui permettre d’installer des caméras privées sur la voie publique, pratiquement sans contrôle. Vous n’hésitez pas à piétiner le droit fondamental de chacun au respect de sa vie privée, de la liberté d’aller et de venir. Les entreprises privées vont pouvoir surveiller à loisir leurs salariés comme certaines le font déjà sur le lieu de travail.

Avec ce même mépris des droits fondamentaux, vous voulez surveiller les manifestants avec des caméras. Je le dis haut et fort : c’est inacceptable !

En outre, qu’il s’agisse des polices municipales ou de la vidéosurveillance, dans tous les cas, ce seront nos concitoyens qui payeront par leurs impôts, alors qu’ils paient déjà pour la police nationale. Pendant ce temps, les sociétés privées se voient offrir des marchés porteurs – comme on dit –, et là est peut-être la « performance » dont se pare l’intitulé du projet de loi : la vidéosurveillance, la police des audiences.

Si on y ajoute la construction de tribunaux, la construction et la gestion de prisons, on peut se demander si ce n’est pas toute la chaîne pénale qui va un jour se trouver privatisée.

Le discours de Grenoble du Président de la République était clair : il fallait des coupables, les étrangers, les mineurs – y compris de moins de 13 ans –, les parents et prioritairement – bien sûr – ceux qui habitent les villes et les quartiers populaires. Le Parlement, y compris – hélas ! – notre assemblée, s’est une nouvelle fois rangé à ces injonctions.

Avec ce texte, vous punissez les enfants en prévoyant une nouvelle procédure ressemblant fort à la comparution immédiate pour les adultes, un couvre-feu, une ordonnance de placement provisoire par l’autorité administrative en lieu et place du conseil général.

Vous stigmatisez les parents avec le contrat de responsabilité parentale. Vous renforcez une nouvelle fois les sanctions pénales avec les peines planchers pour les primo-délinquants, l’extension de la surveillance judiciaire et l’allongement de la peine de sûreté pour crime aggravé à l’encontre d’un agent dépositaire de l’autorité publique.

Vous élargissez le placement sous surveillance mobile à des étrangers astreints à résidence et non à une peine privative de liberté, vous sanctionnez les ventes à la sauvette ; vous fichez encore et encore…

Alors que vous maintenez délibérément nombre de nos concitoyens dans une situation de non-droit au regard du logement, vous en faites des « délinquants » : travailleurs précaires, Roms, gens du voyage…

Vous punissez pénalement le fait d’occuper le domicile d’autrui. Manifestement, ils vous déplaisent ceux qui, comme les jeunes de Jeudi noir, occupent des immeubles inhabités de grand standing place des Vosges ou près de l’Élysée. Ils ont le tort de contribuer à révéler publiquement le scandale du mal-logement.

En revanche, on cherche en vain dans ce texte une quelconque disposition sur la prévention. Il est vrai que c’était déjà le cas pour votre loi de 2007 dite « de prévention de la délinquance », dont seul l’intitulé y faisait référence. Pourtant, le Conseil national des villes, dans une récente recommandation à son président – qui n’est autre que M. Fillon –, dresse un bilan très critique de l’actuel plan national de prévention de la délinquance. Il pointe son inadéquation aux réalités locales et l’insuffisance des financements alloués aux politiques de prévention.

Comme les précédents, ce projet de loi sera inefficace pour lutter contre l’insécurité, parce qu’il ne règle pas les questions toujours posées des moyens, de la prévention, de la dissuasion et de la répression.

Il est dangereux, car il confirme, après bien d’autres textes, la mise en place d’une surveillance généralisée des citoyens, assurée en outre pour l’essentiel par des sociétés privées, et parce qu’il fait de l’exception la norme !

Il est irrecevable, car il met en œuvre un projet de société inquiétant : celui du chacun pour soi, de la peur de l’autre, de l’étranger, du jeune, du pauvre, une société « du risque », qui justifierait un état d’exception permanent.

Il est préoccupant, car il est là pour masquer les dégâts de votre politique et vous donner les mains libres pour la poursuivre aussi loin que possible.

Vous refusez d’entendre ceux qui vous disent que la mal-vie, les régressions en matière sociale, d’éducation, d’emploi, d’habitat et de services publics constitueront toujours un terreau pour la délinquance.

Vous cultivez le désespoir ! Dans ces conditions, comment la violence que constitue la délinquance ne serait-elle pas le reflet d’une société elle-même violente ?

Nous voterons donc de nouveau contre ce projet de loi fourre-tout, qui n’a rien à voir avec ce que nos concitoyens sont en droit d’attendre.

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