Finances
Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.
La réhabilitation de la police de sécurité suppose de dégager des moyens
Projet de loi de finances pour 2018 : sécurité -
Par Éliane Assassi / 5 décembre 2017Monsieur le ministre d’État, vous avez officiellement lancé le mois dernier, à La Rochelle, la police de sécurité du quotidien. « L’objectif [serait] de construire, avec les élus de terrain, avec la population et avec l’ensemble des acteurs de la sécurité et de la prévention, des solutions pour répondre plus efficacement aux préoccupations de nos concitoyens », déclarait ainsi le Président de la République, en octobre dernier, en présentant sa principale annonce en matière de stratégie de sécurité. La grande concertation lancée le 28 octobre dernier s’achèvera dans quinze jours, et les premières expérimentations commenceront dès janvier 2018.
Or, monsieur le ministre d’État, malgré une étude attentive du budget, je n’ai trouvé aucune dotation allouée à ce nouveau dispositif : pas un euro !
Autrement dit, la création de cette police de sécurité du quotidien ne s’accompagne d’aucun volet budgétaire ; celle-ci devra donc s’appuyer sur les moyens existants, ce qui engendrera une charge de travail supplémentaire pour les forces de l’ordre, à moyens constants, donc sans aucune compensation. C’est également ce que révèle le rapport de M. Dominati.
Vous vous défendez de vouloir remettre en chantier la police de proximité. Pour notre part, nous souhaitons véritablement la réhabiliter. Vous n’êtes pas sans savoir que nous défendrons en ce sens une proposition de loi dans l’ordre du jour réservé à notre groupe, le 13 décembre prochain. Mais d’ores et déjà, pour que notre proposition prenne corps, nous vous proposerons, dans le cadre de ce budget, par voie d’amendement, de « réparer » un oubli en budgétisant la police de proximité.
Pour que cette police voie réellement le jour, il faut déployer de véritables moyens, des moyens dont la sécurité de proximité n’a jamais bénéficié.
La réalisation d’une police de proximité suppose une gestion des effectifs adaptée ; il faut donc en premier lieu la doter des moyens nécessaires, mais aussi créer, sur le mode de la Direction générale de la sécurité intérieure créée le 14 avril 2014, une Direction générale de la police de proximité. Celle-ci disposerait, comme toute entité de cette importance, de services administratifs et de soutiens nécessaires à son fonctionnement et à sa gestion.
Il est vraiment temps, me semble-t-il, de cesser de s’attaquer uniquement aux conséquences sans songer aux causes, et de donner la priorité à la prévention et à la dissuasion plutôt qu’à la répression.
En outre, les fonctionnaires de police et de gendarmerie souffrent directement de la dégradation de leur relation avec la population. Leurs conditions de travail se trouvent extrêmement détériorées, notamment en raison du renouvellement incessant de l’état d’urgence ces deux dernières années et du stress permanent que créent des relations trop souvent conflictuelles.
Si le régime d’état d’urgence a pris fin le 1er novembre dernier, le Gouvernement reconnaît que la menace revêt désormais « un caractère durable » et a souhaité doter l’État de nouveaux moyens juridiques permanents, de droit commun. La loi du 30 octobre 2017, qui fait entrer l’état d’urgence dans notre droit commun, a cet objectif. Le surcroît opérationnel ne devrait donc aucunement se trouver diminué par la fin de l’état d’urgence, et pourrait même s’accentuer.
À ce sujet, j’ouvre une parenthèse pour saluer la sage décision du Conseil constitutionnel, qui, à la suite d’une saisine de la Ligue des droits de l’homme, vient de censurer un article de la loi sur l’état d’urgence permettant aux préfets d’autoriser des contrôles d’identité, des fouilles de bagages et des visites de véhicules circulant, arrêtés ou stationnant sur la voie publique ou dans des lieux accessibles au public.
J’avais, avec les autres membres de mon groupe, dénoncé cette disposition lors des multiples prorogations de l’état d’urgence, et le Conseil constitutionnel a reconnu que le législateur n’avait pas assuré une « conciliation équilibrée » entre, d’une part, « la sauvegarde de l’ordre public » et, d’autre part, « la liberté d’aller et de venir et le droit au respect de la vie privée » garantis par la Constitution.
Pour en revenir au budget proprement dit, dans le total des crédits de cette mission, qui doivent augmenter de 1,34 %, nous notons que les recrutements se font au détriment des dépenses d’investissement et de fonctionnement. Comme le rapporteur spécial de la commission des finances, nous n’avons de cesse de dénoncer l’insuffisance de la formation de nos forces de l’ordre.
C’est absolument déraisonnable et dangereux pour nos concitoyens et pour les fonctionnaires de police et de gendarmerie eux-mêmes ! Je ne veux pas faire de parallèle avec la multiplication des suicides de policiers, mais je ne peux pas ne pas y faire référence.
Quant à l’augmentation continue de l’âge moyen des véhicules, elle devient une constante au tableau des insuffisances constatées. Tout le monde connaît également la vétusté dramatique de nos commissariats, qui en fait à la fois des lieux de travail désagréables et peu accueillants pour nos concitoyens et cojusticiables. À l’heure où les victimes sont encouragées à parler, à déposer leurs plaintes, la question des lieux de recueil de la parole des victimes et de la formation de ceux qui la reçoivent et la retranscrivent doit être prise très au sérieux – je vous le demande solennellement, monsieur le ministre d’État.
Notre police et notre gendarmerie sont depuis trop longtemps, hélas, en voie de paupérisation ; or les budgets proposés ne sont en aucun cas à la hauteur de l’enjeu et de la crainte qu’il suscite pour l’avenir de notre pays.
Le budget présenté pour nos soldats du feu n’est guère plus reluisant, et nous suivrons l’avis défavorable de notre collègue Catherine Troendlé sur les crédits de ce programme.