Finances

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Loi de finances pour 2008 : sécurité

Par / 5 décembre 2007

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la mission « Sécurité » pour 2008 traduit bien, une fois n’est pas coutume, la politique sécuritaire menée dans notre pays depuis 2002.

Dénuée de toute réflexion de fond quant aux causes, au traitement social et à la nécessaire prévention de la délinquance, cette politique, axée essentiellement sur la répression et guidée par l’obsession sécuritaire, se révèle telle qu’elle est : contre-productive et inefficace.

Les récents événements de Villiers-le-Bel viennent malheureusement confirmer ce constat. Deux ans après les émeutes de l’automne 2005, un an après celles - d’une moindre ampleur - de l’automne 2006, nous venons de vivre encore des violences urbaines. Combien faudra-t-il d’émeutes, combien faudra-t-il de blessés et de morts pour faire évoluer la situation dans les banlieues et améliorer le quotidien des populations, souvent modestes, qui y vivent ? (Protestations sur les travées de l’UMP.)

M. André Dulait. Un peu de retenue !

M. Henri de Raincourt. Et de dignité !

Mme Éliane Assassi. Malgré les annonces faites depuis 2005, rien n’a changé dans les quartiers dits « sensibles ».

Mme Gisèle Printz. C’est vrai !

Mme Éliane Assassi. En matière de sécurité, d’éducation et de transports publics, la situation des populations écartées des centres urbains n’a guère évolué.

M. Robert Bret. Elle s’est même dégradée !

Mme Éliane Assassi. Le taux de chômage est, dans ces villes, deux fois plus élevé que la moyenne nationale, selon le rapport 2007 de l’Observatoire national des zones urbaines sensibles, l’ONZUS. Tous les habitants des cités et les élus sont inquiets et dressent le même constat : la situation a empiré depuis deux ans. Tous les voyants sont au rouge : précarité, chômage, misère, violence, développement de l’économie parallèle, qui gangrène des quartiers entiers...

La question fondamentale est bien sûr celle des moyens qu’il faut déployer pour financer les associations, développer l’accompagnement social, favoriser l’éducation, l’emploi, la formation, permettre le désenclavement des cités, etc.

Après le plan Borloo, dont on ne voit toujours pas les effets pratiques, on nous a annoncé un plan « banlieues » rebaptisé plan « anti-glandouille » par une secrétaire d’État étrangement silencieuse sur les événements survenus à Villiers-le-Bel, mais qui veut distinguer les quartiers populaires avec des petites pastilles de couleur. (M. Charles Gautier s’exclame.) Sans commentaire !

Mais je doute fort de la portée d’un tel plan. Les caisses de l’État étant vides, je vois mal comment le Gouvernement aura les moyens financiers de faire quoi que ce soit en la matière, à moins, bien sûr, qu’il ne décide d’aller prendre l’argent là où il est.

À cet égard, il est utile de souligner que la dotation de solidarité urbaine, la DSU, qui a été créée spécialement pour venir en aide aux villes pauvres de la banlieue, est d’ores et déjà amputée de 30 millions d’euros dans le projet de loi de finances pour 2008, et ce alors même que le plan Borloo prévoyait de l’augmenter de 120 millions par an jusqu’en 2009 !

La situation nécessite pourtant de mobiliser tous les secteurs de l’État, lequel doit jouer un rôle régulateur. Il est indispensable de débloquer des moyens considérables pour engager des actions dans la continuité. Ce n’est pas de moins d’État que nous avons besoin, c’est de plus d’État !

M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur pour avis. Étonnant !

Mme Éliane Assassi. Or le Gouvernement suit la démarche exactement inverse. Le projet de loi de finances pour 2008 en est malheureusement une parfaite illustration.

Votre prédécesseur, madame la ministre, n’a eu de cesse, pendant cinq ans, de ressasser les mêmes slogans sécuritaires, prétendument pour faire baisser la délinquance. Avec quels résultats ? Pour quel bilan ? À part faire voter des lois plus répressives les unes que les autres, à part provoquer les jeunes des cités, à part faire des cadeaux fiscaux à ses amis du grand patronat, asséchant ainsi de manière drastique les caisses de l’État, qu’a-t-il réellement fait ?

En réalité, la droite récolte aujourd’hui ce qu’elle sème depuis des années : accentuation de la fracture sociale, multiplication des lois répressives, accentuation des injustices, stigmatisation des jeunes, en particulier de ceux qui sont issus de l’immigration et qui vivent dans les cités, discriminations à leur égard, provocations en tout genre.

Alors que Nicolas Sarkozy s’est toujours vanté d’avoir fait baisser la délinquance, la première enquête de victimation réalisée par l’Observatoire national de la délinquance, l’OND, portant sur les années 2005 et 2006, montre que les statistiques du ministère de l’intérieur ne reflètent pas du tout le niveau réel de la criminalité en France et que le nombre des violences intrafamiliales est très élevé.

M. Robert Bret. Comme celui du chômage, d’ailleurs !

Mme Éliane Assassi. Malgré l’important arsenal législatif mis en place depuis 2002, malgré les limites évidentes de toutes les lois modifiant le code pénal et le code de procédure pénale, malgré l’échec patent de cette politique répressive, demain, nous devrons encore légiférer sur la rétention de sûreté, comme si l’enfermement à vie était la solution !

Admettez-le, madame la ministre : pas plus que vos prédécesseurs, vous n’avez réussi à prévenir la délinquance et la récidive, à lutter efficacement contre l’insécurité, encore moins à rétablir l’égalité républicaine sur l’ensemble de notre territoire.

Pourtant, au sortir de l’automne 2005, tout le monde était d’accord - jusque dans les rangs de l’UMP - pour remettre sur les rails la police de proximité. Souvenons-nous du rapport sénatorial qui a été élaboré à la suite des émeutes de 2005 : lui aussi préconisait la réactivation de cette police. Vous-même, madame la ministre, vous avez évoqué la nécessité d’une police localisée ou territorialisée ; peu importe le nom qu’on lui donne, l’important étant les missions qu’on lui attribue.

Or que constatons-nous deux ans plus tard ? On n’a toujours pas mis en place une police plus proche des habitants, on n’a toujours pas permis de retisser les liens de confiance entre les populations, singulièrement celles des quartiers dits « sensibles », et les forces de l’ordre. Au contraire, tout est fait pour que ces quartiers deviennent les angles morts de notre société.

On est toujours dans cette confrontation entre le monde policier et les jeunes, voire la population des quartiers populaires. Il est temps de passer d’une police d’ordre au service de l’État à une police au service du citoyen, car, soulignons-le, la police est un service public essentiel, qui garantit la liberté de chaque citoyen.

À cet égard, je voudrais vous faire part de ma profonde indignation face à la prime de quelques milliers d’euros offerte par la police en contrepartie de témoignages recueillis après les événements de Villiers-le-Bel. Le témoignage sous X existe dans notre droit depuis 2002, mais sans rémunération. Chacun sait qu’il peut s’adresser à la police. Ce n’est donc pas la peine d’en rajouter en instituant cette prime à la délation à la mode américaine, au risque de mettre de l’huile sur un feu à peine éteint et d’entraîner des débordements ou encore des témoignages « bidons ».

Il faut impérativement donner une nouvelle orientation aux missions de la police nationale afin de mettre en oeuvre une véritable politique de prévention et de dissuasion. En outre, il convient de veiller à l’utilisation démocratique de la force publique dans le respect des règles déontologiques, et ce dans l’intérêt des citoyens comme des policiers.

Ce n’est pas dans cette voie que vous vous dirigez avec votre projet de création de compagnies zonales de sécurisation. Polyvalentes, constituées pour partie d’effectifs redéployés venant des CRS, ces compagnies pourraient, nous dit-on, être rapidement disponibles là où leur présence est requise et intervenir en matière de lutte contre les violences urbaines. Je ne vois pas où est la nouveauté en la matière, encore moins quel en est l’intérêt !

J’ajoute, madame la ministre, que vos solutions, telles que la vidéosurveillance ou les drones survolant les sites sensibles, ne sauraient remplacer la présence humaine sur le terrain. Vous envisagez ainsi de tripler le nombre de caméras sur la voie publique. La vidéosurveillance, ou « vidéoprotection », comme vous la nommez pudiquement à présent, sert essentiellement à la résolution des affaires, permettant ainsi de faire évoluer le taux d’élucidation.

Or il me semble qu’il aurait été utile, avant de déployer autant de caméras, de procéder à une évaluation de ces systèmes de vidéosurveillance afin de prouver leur éventuelle efficacité !

M. Éric Doligé. Cela marche très bien !

Mme Éliane Assassi. Et l’on nous dit de surcroît que le programme national d’installation coûterait entre 5 milliards et 6 milliards d’euros. C’est faramineux ! L’État en prendrait une partie à sa charge à hauteur de 800 000 euros, dans le cadre du fonds interministériel de prévention de la délinquance. Le principal obstacle au développement de ces dispositifs de surveillance reste financier. Où allez-vous trouver les financements ?

Mme Gisèle Printz. Les communes !

Mme Éliane Assassi. Madame la ministre, vous ne pouvez plus vous contenter de répondre par des discours sécuritaires, comme vient encore de le faire le Président de la République. En l’espèce, la répression ne sert strictement à rien, car la plupart de ces jeunes n’ont rien à perdre : ils n’ont rien !

L’État doit donner des signes d’espoir à cette jeunesse dont l’avenir est bouché et proposer des mesures concrètes en termes d’éducation, d’action sociale, de travail...

« Travailler plus pour gagner plus » ? Mais ces jeunes n’ont pas de travail ! Il faut restaurer un climat de confiance et de justice, ce qui est certainement plus difficile que de se lancer dans des discours populistes ultra-répressifs.

M. Robert Bret. Oui !

Mme Éliane Assassi. Plus que jamais, la mise en oeuvre du triptyque « prévention, dissuasion, répression » est nécessaire. Ce n’est pourtant pas ce que privilégient vos orientations budgétaires.

Le malaise est par ailleurs palpable au sein même de la police et de la gendarmerie : pour les policiers, heures supplémentaires non payées, problème du passage au statut de cadre des officiers de police ; pour les gendarmes, hausse de la charge de travail, baisse du niveau de vie, conditions de casernement difficiles.

En outre, les membres des forces de l’ordre sont de plus en plus nombreux à exprimer leur malaise quant au rôle que le Gouvernement leur fait jouer en matière de traque aux personnes sans papiers.

Pour conclure, j’évoquerai les pistolets à impulsion électrique, de type Taser. Plus de 3 000 policiers et gendarmes en sont déjà équipés et vous vous apprêtez à en autoriser l’usage pour les 17 000 policiers municipaux.

Aux États-Unis et au Canada, ces armes auraient été à l’origine de plusieurs dizaines de morts. Récemment, le Comité contre la torture de l’ONU a dénoncé clairement l’usage de ces pistolets, estimant que la douleur aiguë provoquée par ces armes constituait une forme de torture...

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Cela ne fait pas mal !

Mme Éliane Assassi. ...et que, dans certains cas, il pouvait même provoquer la mort.

M. Christian Cambon. Et les balles des voyous à Villiers-le-Bel ?

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. À la délinquance, faut-il répondre par des actes délinquants ?

Mme Éliane Assassi. Le comité a d’ailleurs demandé à la capitale portugaise de renoncer à en équiper sa police et les unités d’élite. Et vous, madame la ministre, quelle suite entendez-vous donner à ce rapport ?

À la lumière de ces observations, vous comprendrez que les sénateurs du groupe CRC votent contre les crédits de cette mission.

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Bio Express

Éliane Assassi

Sénatrice de Seine-Saint-Denis - Présidente du groupe CRCE
Membre de la commission des Lois
Elue le 26 septembre 2004
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