Finances

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Loi de finances pour 2007 : sécurité

Par / 6 décembre 2006

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, dernière tranche de la loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure du 29 août 2002 complétée par la loi pour la sécurité intérieure du 18 mars 2003, le budget « Sécurité » que nous examinons aujourd’hui est aussi le dernier de la présente législature.

C’est donc l’heure des bilans.

Voilà tout juste un mois, lors d’un débat sur une question orale de notre collègue Jean-Claude Peyronnet, nous avons déjà discuté ici même du bilan de la politique de sécurité menée depuis 2002 par la droite.

Les propos que j’ai tenus à cette occasion, comme ceux qui avaient été les miens l’an dernier sur le budget « Sécurité » pour 2006, sont, hélas ! toujours d’actualité.

Ce bilan, votre bilan en matière de lutte contre l’insécurité, sujet dont le Président de la République avait pourtant fait son cheval de bataille lors de la campagne électorale de 2002, est, quoi que vous en disiez, négatif.

Votre échec en matière de sécurité, déjà mis en exergue l’an dernier avec les violences urbaines qu’ont connues certaines villes de France, a été confirmé par les nouvelles flambées de violences qui se sont déroulées voilà quelques semaines.

Ainsi donc, en dépit de l’arsenal législatif que vous avez fait voter à marche forcée depuis 2002 par la majorité parlementaire, on ne peut pas dire que vous ayez réussi à prévenir la délinquance ni la récidive, encore moins à lutter contre l’insécurité.

Les textes sécuritaires et judiciaires, tous plus répressifs les uns que les autres, existent pourtant, qu’il s’agisse de la loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, de la loi pour la sécurité intérieure, des lois Perben I et II, de la loi sur le traitement de la récidive des infractions pénales, de la loi relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers, et du projet de loi sur la prévention de la délinquance amendé par vos soins à la suite du drame de Marseille, sans parler de la loi relative à la prévention des violences lors des manifestations sportives.

Ces lois, tout aussi dangereuses pour les libertés fondamentales qu’inefficaces au regard du traitement de l’insécurité, n’ont à l’évidence rien réglé. J’en veux pour preuve, premièrement, que le drame de Marseille n’a pu être évité, deuxièmement, que les violences urbaines continuent, et, troisièmement, que les violences dans les stades et à l’extérieur de ceux-ci sont en recrudescence.

Toutes vos lois, censées lutter contre l’insécurité et bien trop souvent prises au gré des faits divers, n’auront fait, en définitive, que vous permettre d’occuper le terrain politique, laissant accréditer l’idée selon laquelle le Gouvernement s’occupe de l’insécurité, qu’accentuer la stigmatisation et la discrimination envers les jeunes en général, et ceux issus de l’immigration en particulier, que pénaliser les pauvres gens et aggraver les sanctions pénales.

Regardez les faits en face : en dépit de l’« arsenal de guerre » que vous avez déployé, rien n’y a fait. En dépit de votre autosatisfaction et des tours de passe-passe concernant les chiffres de la délinquance, la réalité vous rattrape.

Vous n’avez pas su prévenir ni même anticiper les événements de novembre 2005 et ceux de novembre 2006. Mais tel n’est sans doute pas votre objectif !

En effet, loin de répondre aux inquiétudes légitimes de nos concitoyens en matière de sécurité, votre politique pénale axée essentiellement sur la répression se révèle pour ce qu’elle est : injuste et inefficace.

Chacun sait pourtant que la répression seule ne suffit pas. Vous aurez beau multiplier les réformes pénales, augmenter autant que vous voudrez le quantum des peines, accroître le nombre de places en prison, rien n’y fera si l’on ne replace pas la répression - elle est, certes, nécessaire - au sein du triptyque « prévention-dissuasion-sanction/réparation », si l’on ne met pas en oeuvre une politique économique et sociale digne de ce nom.

En ne traitant pas les causes profondes de la violence, celles qui font notamment le terreau de la délinquance comme le chômage, la précarité, l’échec scolaire, la dégradation de l’habitat, la suppression des services publics de proximité, les inégalités sociales, la ségrégation, en n’apportant pas les réponses adéquates aux problèmes des quartiers populaires pourtant posés avec force à l’occasion des violences urbaines, en ne proposant que des réformes pénales répressives, vous conduisez le pays dans une impasse très dangereuse. Il s’agit là d’une véritable fuite en avant qui ne mène nulle part !

Le budget « Sécurité » pour 2007 est malheureusement loin d’inverser la tendance observée, tant les orientations qu’il contient privilégient encore la répression et l’enfermement, au détriment de la prévention de la délinquance et de la dissuasion.

Mais j’oubliais que vous avez une autre façon de lutter contre la délinquance : il s’agit de renforcer la lutte contre l’immigration clandestine...

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Nous y voilà !

Mme Éliane Assassi. ...en accentuant un peu plus encore les contrôles concernant notamment les mariages mixtes, l’accueil des étudiants étrangers, les procédures d’asile.

Si nous avions encore des doutes sur un éventuel amalgame opéré par le Gouvernement entre immigration et délinquance, nous n’en avons plus !

M. Christian Estrosi, ministre délégué. Vous êtes rassurée !

Mme Éliane Assassi. Votre budget consacre cette année encore l’essentiel de son augmentation au chantier de la lutte contre l’immigration clandestine.

Voyez les chiffres : l’objectif gouvernemental de 28 000 reconduites à la frontière en 2007 - uniquement pour la métropole - et l’augmentation significative du nombre de places en centres de rétention administrative, les CRA, pour les porter à 2 400 à l’été 2008, induisent pour la lutte contre l’immigration clandestine un montant de dépenses de fonctionnement de 107, 228 millions d’euros en autorisations d’engagement et de 91, 228 millions d’euros en crédits de paiement !

À cela, il convient d’ajouter les crédits d’investissement qui couvrent les coûts de construction des CRA - 21,5 millions d’euros en autorisations d’engagement et 4,5 millions d’euros en crédits de paiement - et les coûts de développement des systèmes d’information destinés à la lutte contre l’immigration clandestine et au contrôle aux frontières.

Il est clair que, au lieu de construire des commissariats qui font tant défaut dans certaines communes, vous préférez bâtir des centres de rétention administrative pour y placer les immigrés en situation irrégulière avant de les renvoyer chez eux, pour un montant qui s’élève à 1 801 euros par éloignement ! C’est un choix que, pour ma part, je ne peux accepter.

La répartition géographique des commissariats et des effectifs entre communes est, à nos yeux, une question essentielle.

Il est évident qu’il faut revoir la répartition des effectifs de police sur le territoire, qui est inchangée depuis cinquante ans, cesser d’affecter dans les quartiers les plus difficiles les jeunes fonctionnaires de police tout juste sortis de l’École de police et fidéliser ceux qui, par leur expérience de terrain, ont acquis une bonne connaissance des quartiers les plus difficiles.

À ce titre, j’ai bien noté l’arrivée au 1er décembre de 300 gardiens de la paix stagiaires dans mon département, la Seine-Saint-Denis. Cela dit, vous avouerez que cette augmentation des effectifs aurait dû intervenir plus tôt compte tenu de l’évolution de la délinquance dans ce département, délaissé depuis trop longtemps par l’État dans tous les domaines : école, habitat, emploi, services publics de proximité...

Mais plus que l’augmentation du nombre de policiers, ce sont surtout les missions de service public de la police nationale qu’il faut revoir.

En effet, la France étant le pays le plus policé d’Europe avec ses 180 000 policiers, dont 13 000 CRS, ses 90 000 gendarmes, dont 10 000 gendarmes mobiles, sans compter ses 25 000 policiers appartenant à la police municipale, le problème qui se pose n’est pas tant de connaître le nombre de policiers que de savoir à quoi ils servent.

Il faut impérativement donner une nouvelle orientation aux missions de la police nationale afin de mettre en oeuvre une véritable politique de prévention et de dissuasion.

Il faut arrêter la culture du chiffre, la rentabilité à tout prix, le détournement de statistiques et cette politique du rendement axée sur la seule répression ; cette attitude est dangereuse pour tous et fait peser sur les forces de l’ordre une forte pression hiérarchique, sans parler d’une course aux résultats qui est loin de ressembler à une saine émulation !

D’ailleurs, permettez-moi de souligner ici le mécontentement qui gagne les forces de l’ordre en sous-effectif chronique dans les zones dites sensibles, qui se font agresser sur le terrain et paient ainsi, d’une certaine manière, le prix des propos tenus par leur ministre de tutelle. Les résultats des dernières élections professionnelles en sont d’ailleurs une flagrante illustration.

Il faut arrêter la surenchère sécuritaire qui est contre-productive et dangereuse pour tout le monde.

Pour ma part, je pense qu’il faudrait ouvrir un grand débat public sur l’utilisation démocratique de la force publique dans le respect des règles déontologiques.

Si le maintien de l’ordre est nécessaire, ce ne peut cependant pas être l’unique voie à suivre en matière de sécurité. On ne réglera rien uniquement avec les brigades anti-criminalité, ou BAC, les CRS, et les groupements d’intervention régionaux, ou GIR !

Il faut rétablir une police de proximité avec des missions de service public, en y apportant bien évidemment certaines adaptations au regard de l’expérience passée. En ce sens, chacun doit se rappeler tout l’intérêt du travail de l’îlotage. Mais vous avez préféré vider cette police de proximité de son sens pour la remplacer par les GIR, les BAC et les CRS.

Je l’affirme une nouvelle fois, nous avons besoin d’une police républicaine, respectée et dont les agents soient formés.

Il est temps de passer d’une police d’ordre au service de l’État à une police au service du citoyen. À cet égard, il est indispensable de retisser le lien entre le citoyen et la police, qui s’est évanoui en même temps que disparaissaient les adjoints de sécurité, et de mettre à nouveau en place un travail de discussion avec les associations de locataires, les groupements sportifs et culturels.

Ces objectifs ne peuvent être atteints avec votre budget, qui continue de privilégier la culture du chiffre, donc la seule répression. J’en veux pour preuve la prime de résultats exceptionnels qui passe de 10 millions d’euros en 2005 à 15 millions d’euros en 2006, pour atteindre 20 millions d’euros en 2007.

Vous le savez, nous sommes profondément opposés à cette prime qui, versée en guise de récompense, n’en constitue pas moins une véritable incitation à « faire du chiffre », comme s’il s’agissait d’objectifs commerciaux alors même que sont en jeu les libertés individuelles et publiques. C’est le statut de la fonction publique qui risque, à terme, d’être remis en cause.

Telles sont les observations que je tenais à formuler sur le budget « Sécurité » pour 2007 contre lequel, vous l’aurez compris,...

M. Christian Estrosi, ministre délégué. J’avais encore un doute ! (Sourires.)

Mme Éliane Assassi. ...votera le groupe communiste républicain et citoyen, étant entendu que ce vote négatif concerne moins les crédits en tant que tels que la nature même de la politique de sécurité mise en oeuvre, essentiellement axée sur la rentabilité, l’unique répression et la lutte contre l’immigration.

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Bio Express

Éliane Assassi

Sénatrice de Seine-Saint-Denis - Présidente du groupe CRCE
Membre de la commission des Lois
Elue le 26 septembre 2004
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