dossier Covid-19 : les politiques libérales en accusation

Peut-on lutter efficacement contre la pandémie de covid-19 avec des méthodes fidèles aux dogmes libéraux, alors que ceux-ci ont précisément conduit à méconnaître la crise puis à l’aggraver, notamment en affaiblissant la recherche et le service public hospitalier ? Pour le gouvernement, la réponse est oui, comme en témoignent sa gestion de la crise et plus particulièrement les dispositions de la loi de finances rectificative et les mesures de l’état d’urgence sanitaire, entré lui en vigueur le 24 mars, qu’il a fait adopter par le Parlement. Pour les membres du groupe CRCE, la réponse est en revanche négative. Ils se sont donc abstenus lors du vote de cette loi de finances rectificative et se sont prononcés contre les mesures d’urgence proposées par Emmanuel Macron : pleins pouvoirs au gouvernement pendant deux mois, sans contrôle ou presque ni vote du Parlement ; dérogations injustifiées au droit du travail en matière de congés, de repos hebdomadaires et dominicaux ; mais refus de mettre à contribution les ménages les plus riches et les actionnaires.

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Affaires sociales

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Ces deux projets de loi vont plomber pour des années notre système de protection sociale

Dette sociale et à autonomie -

1er juillet 2020

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, après les différents projets de loi sur l’état d’urgence sanitaire et leur flot d’ordonnances, et alors que nous sortons tout juste d’un épisode particulièrement traumatisant pour nos concitoyennes et nos concitoyens, les deux projets de loi organique et ordinaire qui nous sont soumis vont ni plus ni moins que plomber pour des années notre système de protection sociale.

Alors que la sécurité sociale soldait son déficit, au prix d’une compression de ses dépenses depuis plusieurs années, voilà que vous lui faites porter un nouveau fardeau immensément lourd – 136 milliards d’euros –, et ce de façon totalement injuste. En effet, comment justifier que cette somme, correspondant en grande partie à la dette liée au covid-19, soit transférée à la Cades et pas reprise par l’État ? Comment justifier que ces 136 milliards d’euros vont être, en réalité, supportés et financés par les contribuables à travers la CSG et la CRDS, dont on sait pertinemment que ce ne sont pas des impôts progressifs ?

Le Gouvernement, face à une situation d’ampleur exceptionnelle, fait le choix de se défausser et de confier ce gouffre financier à un organisme social. C’est d’autant plus insupportable que ces 136 milliards d’euros sont dus en grande partie au confinement généralisé de la population pendant deux mois, ce qui ne relève absolument pas de la responsabilité de la Cades.

Si la pandémie explique pour une part ce confinement, la décision prise s’explique, au fond, par la tension qui pesait sur notre système hospitalier et son incapacité à faire face à l’afflux des patients. Or cette réalité douloureuse est la résultante de choix politiques assumés par le Gouvernement et ceux qui l’ont précédé : 10 milliards d’euros de restrictions budgétaires draconiennes en sept ans, réalisées sur le dos des hôpitaux, des milliers de lits fermés, des suppressions d’emplois à tour de bras.

Mais regardons de plus près comment se déclinent ces 136 milliards d’euros de dette : une partie, à savoir 13 milliards d’euros, provient de la dette hospitalière. Or, sur la quasi-totalité des travées de la Haute Assemblée, nous sommes d’accord : les dépenses d’investissement des hôpitaux relèvent de l’État, et non de la sécurité sociale. Certes, notre commission des affaires sociales a supprimé ce dispositif, mais permettez-moi de dénoncer à la fois les mensonges du Gouvernement et son tour de passe-passe. En novembre dernier, le Premier ministre, après plus de neuf mois de grève de l’ensemble des services d’urgence de France, avait annoncé la reprise d’un tiers de la dette des hôpitaux par l’État et non par la sécurité sociale, comme vous vous apprêtez à le faire.

Si je résume : vous transférez aux hôpitaux la dette que vous étiez censé reprendre à ces mêmes hôpitaux ! Encore une fois, alors que la Cades est alimentée par la CRDS et la CSG, nous considérons que ce n’est pas à nos concitoyennes et nos concitoyens de payer la crise liée au covid-19 ni les dettes hospitalières fabriquées par les gouvernements successifs. D’autant que, comme on l’a rappelé, les conditions dans lesquelles la Cades peut emprunter sont bien moins favorables que celles de l’État. C’est donc un choix aberrant économiquement, sauf à justifier de futures restrictions budgétaires. Alors que la crise sanitaire a démontré qu’il était plus que jamais indispensable de consolider notre système de protection sociale, vous lui imposez, une fois encore, une surcharge financière indue et mortifère.

Pour faire passer ce mauvais coup, vous faites semblant de tirer des leçons de la crise vécue par les personnes en perte d’autonomie dans les Ehpad ou à domicile. Vous allez donc créer une cinquième branche de la sécurité sociale. Mais pour quoi faire, monsieur le secrétaire d’État ?

La sécurité sociale a été créée en 1945 par Ambroise Croizat et Pierre Laroque : c’est un système de protection sociale qui couvre toute une vie, de la naissance à la mort, avec tous ses aléas. De notre côté, nous considérons que la perte d’autonomie, que ce soient les personnes en situation de handicap ou les personnes âgées, est liée à l’état de santé et, donc, que les dépenses doivent relever d’une branche existante, celle de l’assurance maladie.

J’en profite d’ailleurs pour redire, ici, que nous soutenons la prise en charge à 100 % de l’ensemble des soins des assurés sociaux, avec les financements nécessaires pour y parvenir. Nous proposons que la branche maladie prenne en charge la perte d’autonomie, d’autant plus que cette branche est financée par les cotisations sociales, et non par l’impôt, comme vous semblez vouloir le faire dans votre projet de loi, même si tout cela est encore très flou.

Nous nous opposons à cette fiscalisation et à cette privatisation de la sécurité sociale, tout comme nous nous opposons à la non-compensation par l’État des exonérations de cotisations. Pour rappel, vous avez voté 66 milliards d’euros d’allégements l’an dernier, soit la moitié pile de la dette que vous appelez « sociale ».

Bien entendu, nous ne sommes pas pour le statu quo. À l’inverse de cette cinquième branche qui dénature notre modèle social, nous proposons, comme l’a expliqué ma collègue Cathy Apourceau-Poly, la création d’un grand service public national de la perte d’autonomie et de l’accompagnement, incluant les établissements médico-sociaux et les aides à domicile. Ce service public national aurait pour vocation de revaloriser tous ces métiers, dont chacun a enfin pris conscience de l’importance durant la pandémie. Tous ces salariés, majoritairement des femmes, d’ordinaire invisibilisés et maltraités par la société, ont fait tourner le pays en étant en première ligne pendant le confinement.

Comment votre cinquième branche, dont nous débattrons à nouveau lors du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale, pourrait-elle prendre réellement en compte l’ensemble des personnels exerçant des métiers d’aide à la personne, quand on voit le faible financement annoncé, à savoir 2,3 milliards d’euros à l’horizon de 2024 ? Permettez-moi de citer le rapport Libault, qui a notamment souligné combien les enjeux liés au grand âge étaient exponentiels et estimé à 10 milliards d’euros le besoin de ressources supplémentaires en 2030.

Pour répondre à ces défis, la sécurité sociale a besoin de financements, de recettes nouvelles.

Monsieur le secrétaire d’État, inspirez-vous des propositions figurant dans notre proposition de loi portant mesures d’urgence pour la santé et les hôpitaux, élaborée avec des professionnels de la santé et du secteur médico-social, des syndicalistes, des usagers et des membres des directions, lors de notre tour de France des hôpitaux et des Ehpad.

Il est temps de changer d’orientation politique et d’écouter celles et ceux qui sauvent des vies, s’occupent de nos aînés. Ils ne réclament ni médailles ni chèques-vacances, mais la reconnaissance de leur métier. Ils veulent qu’on les respecte, ainsi que leurs patients.

Le temps presse, parce que la prise en charge de nos aînés est un marché juteux et que le secteur assurantiel est déjà sur les rangs pour financer cette cinquième branche. Ce n’est pas notre conception, vous l’aurez compris : nous sommes profondément hostiles à la marchandisation des services à la personne et de notre système de protection sociale. Vous ne serez donc pas surpris si notre groupe vote contre ces deux projets de loi.

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