Activité des sénateurs

Projet "plein emploi" : les précaires dans le viseur

Par / 12 juillet 2023

Ce projet de loi dont nous débattons dans la précipitation d’une session extraordinaire bien chargée, poursuit un premier objectif qui consiste à renforcer les contrôles des chômeurs et les sanctions des bénéficiaires du revenu de solidarité active est en décalage avec la volonté d’apaisement affichée par le Président de la République.

Le gouvernement fait comme si le 27 juin dernier un jeune de 17 ans n’avait pas été tué par un policier à Nanterre déclenchant une flambée de violence dans les quartiers de l’ensemble de la métropole mais également en Outre-mer.

En proposant de conditionner le versement du RSA à 15 à 20h d’activité par semaine, vous stigmatisez les plus précaires. C’est un véritable anachronisme de l’urgence politique et de l’injure faites à celles et ceux qui essayent de survivre avec 534 euros par mois.

La réponse politique à la colère exprimée dans nos quartiers devrait relever d’un discours d’égalité et de solidarité de la République.

Comment voulez-vous que les jeunes des quartiers, mais plus généralement la jeunesse, première victime de la précarisation, qui subissent les discriminations au quotidien retrouvent confiance dans la République et ses représentants ?

Ce projet de loi, censé atteindre le plein emploi, devrait mettre en place des dispositions pour baisser le chômage en priorité là où il est le plus fort et permettre d’engager la construction de vrais parcours professionnels, à l’opposé de l’ubérisation du travail. C’est-à-dire dans les territoires ultra-marins et dans nos quartiers des villes populaires.

Je rappelle que selon l’Observatoire national des politiques de la ville, le taux de chômage est de 18% dans les quartiers prioritaires de la ville contre 7% en moyenne nationale.
Les jeunes de moins de 30 ans subissent un taux de chômage de 30% et ceux qui trouvent un boulot ont le plus souvent des contrats précaires pour des postes d’ouvriers ou d’employés. En quoi votre projet, pompeusement affiché comme relatif au plein emploi, répond-il à cette situation ?

Selon la CGT Ile de France, le suivi actif des demandeurs d’emploi s’est traduit par une augmentation de la charge de travail des conseillers Pôle Emploi.
Entre 2020 et 2023, dans le département de Seine Saint Denis, le nombre de demandeurs d’emplois à suivre par conseiller a doublé de 250 à 500.
Tandis que le nombre de professionnels accompagnants les bénéficiaires du RSA a été diminué par 3 avec depuis 1990, désormais un professionnel doit suivre 100 allocataires.

Le premier obstacle à l’emploi pour ces jeunes ce sont les discriminations qu’ils subissent à l’embauche.
Alors plutôt que de les stigmatiser, comme l’a fait l’ancien patron du Medef en déclarant que le premier employeur de la Seine Saint Denis c’est le trafic de drogues, il ferait mieux d’agir pour que les entreprises dépassent les stéréotypes car les discriminations expliquent largement le taux de chômage des jeunes dans les quartiers populaires.

Cette situation remet en cause l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui prévoit que "la loi doit être la même pour tous".

Mon groupe a fait le choix de déposer cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité car cette loi comporte des mesures non conformes à la Constitution.
En premier lieu, la création du contrat d’engagement contrevient à l’alinéa 11 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 qui prévoit que : « tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence ».

Le droit d’obtenir des moyens convenables d’existence ne peut être soumis à condition.
Or l’article 2 du projet de loi prévoit pour les chômeurs, l’obligation d’assiduité et de participation active aux actions d’insertion sociale ou professionnelle.

Et l’article 3 prévoit pour les bénéficiaires du revenu de solidarité active la réalisation d’heures d’activité dont la non-réalisation entraine la suspension voir la suppression du versement du RSA.
À l’évidence, cette conditionnalité remet en cause l’accès au filet de sécurité minimal que la collectivité verse aux femmes et aux hommes les plus en difficultés.

Le contrat d’engagement remet en cause par ailleurs des droits acquis par les assurés sociaux en contrepartie de leurs cotisations sociales.

Ce texte porte donc une atteinte manifeste à nos principes constitutionnels. Il suffit de considérer le Préambule de 1946 comme un texte « témoin » non contraignant. Or, il édicte, bien au contraire, les fondements de la République qui se voulait sociale au sortir de la Résistance. Il est grand temps de le rétablir dans sa plénitude.
Selon Lucas Chancel, économiste spécialiste des inégalités, « le discours du gouvernement s’inscrit en réalité dans la très longue histoire de la culpabilisation des pauvres dont le but est de réduire les ressources allouées aux aides ».

Cette recherche constante des économies sur le dos des plus fragiles et des plus précaires est d’autant plus injuste et inacceptable que les plus riches et les plus puissants sont épargnés par de telles mesures de contrôle et de sanction.

Le deux poids deux mesures concernant ceux d’en haut et ceux d’en bas n’est qu’une étincelle pour une reprise de la violence sociale qui s’est exprimée avant-hier lors de la mobilisation contre la réforme des retraites, hier dans nos quartiers et nul ne sait où elle pourra rejaillir demain.

Les sanctions envisagées par le gouvernement et renforcées par la majorité sénatoriale ne semblent pas avoir tenu compte de l’étude d’impact du projet de loi qui précise que, je lis : « la détermination des obligations et du régime de sanctions applicables aux bénéficiaires du RSA doit tenir compte de l’exigence constitutionnelle qui fait du revenu de solidarité active le dernier filet de sécurité pour les personnes qui ne tirent que des ressources limitées de leur travail ou des droits qu’ils ont acquis en travaillant ou qui sont privés d’emploi ».
Nous considérons pour notre part, que les obligations contenues dans le texte et la gravité des sanctions ne respectent pas cette exigence constitutionnelle.

En deuxième lieu, le projet de loi prévoit de conditionner la co-présidence des comités territoriaux de France travail à la signature de la charte d’engagement par les représentants des exécutifs territoriaux.
Nous estimons que cette nouvelle conditionnalité dans la gouvernance de France travail remet en cause la libre administration des collectivités territoriales prévue à l’article 72 de la Constitution qui prévoit que : "Dans les conditions prévues par la loi [les] collectivités s’administrent librement par des conseils élus et disposent d’un pouvoir réglementaire pour l’exercice de leurs compétences".

La commission des affaires sociales du Sénat ne s’y est pas trompée en supprimant la charte d’engagement et sa signature comme condition de la co-présidence des comités territoriaux.

Le gouvernement ayant déposé un amendement visant à rétablir cette charte d’engagement il est fort à craindre que la charte d’engagement entre France Travail et les collectivités territoriales puissent revenir dans la navette parlementaire.

En troisième lieu, l’article 9 qui concède des droits nouveaux aux travailleuses et aux travailleurs en établissement et service d’aide par le travail (ESAT) maintien une inégalité de situation et de droits entre les personnes en situation de handicap et l’ensemble de la population.

En refusant d’accorder le statut de salarié et de l’ensemble des droits afférents à ce statut, le gouvernement actuel comme les précédents, méconnait le principe de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui dispose que : "la loi doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Tous les citoyens étant égaux à ses yeux, sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents".

Le gouvernement apporterait certes un progrès pour les travailleurs handicapés en leur accordant le droit d’adhérer à un syndicat, le droit de grève et la prise en charge par les établissements d’une complémentaire santé.
Mais ces droits supplémentaires, n’en font pas moins des droits a minima pour les travailleurs handicapés qui sont toujours considérés comme des handicapés avant d’être considérés comme des travailleurs.
R ien ne justifie cette rupture d’égalité avec l’ensemble des salariés.

Comment justifier qu’un travailleur handicapé soit payé 5 euros de l’heure tandis qu’un travailleur non handicapé soit payé à minima à 9 euros de l’heure ?

La société doit accorder des droits et des protections supplémentaires aux plus fragiles et pas l’inverse.
Ce projet de loi constitue un recul enfin pour le service public de l’emploi et de l’accompagnement des privés d’emploi.
Le passage au tout numérique de France travail va aggraver la fracture existante pour les bénéficiaires les plus fragiles.

Selon le dernier rapport de la Défenseur des droits : « un tiers des personnes sont éloignées du numérique » et constate par ailleurs « une déshumanisation des services publics ».
Nous craignons que ce texte contribue donc à creuser les inégalités tout en renforçant les contrôles et les sanctions des plus fragiles.
Pour l’ensemble de ces raisons j’appelle l’ensemble du Sénat à adopter notre motion et rejeter ce texte.
Je vous remercie.

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