Les débats

Nos compatriotes d’outre-mer ont trop souvent le sentiment d’être ignorés et délaissés par la métropole

Situation des outre-mer -

Par / 26 février 2014

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la délégation sénatoriale à l’outre-mer, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord dire toute ma satisfaction à voir ce débat sur la situation dans nos territoires ultramarins se tenir, à l’initiative de mon collègue – je dirais même mon ami –, Paul Vergès.

En effet, sauf lorsqu’ils font face avec vigueur à leurs grandes difficultés économiques et sociales ou qu’ils sont au cœur de crises politiques et institutionnelles, comme en Nouvelle-Calédonie, aux Antilles et à La Réunion en 2009, nos compatriotes d’outre-mer ont trop souvent le sentiment d’être ignorés et délaissés par la métropole, y compris par la représentation parlementaire.

Il n’y a pas de fatalité à ce que leurs difficultés de vie suscitent si peu d’intérêt. L’éloignement, l’histoire parfois douloureuse, la complexité des relations avec les populations, ou les particularités de chacune d’entre elles ne sauraient être des excuses : en outre-mer, nous ne connaissons que des citoyens français. À ce titre, ces difficultés doivent être traitées selon les lois et les politiques de la République, avec, bien entendu, la nécessaire adaptation que les spécificités de ces territoires requièrent.

Ce débat nous donne ainsi l’occasion – Paul Vergès l’a fait pour La Réunion – de mieux connaître la situation économique, sociale et institutionnelle de chacun de ces territoires, qui connaissent des contextes locaux différents, sur le plan financier comme sur le plan statutaire.

Dans ce cadre, l’intérêt réside donc essentiellement dans l’évaluation de la pertinence des politiques publiques et de leur capacité à résoudre, avec plus ou moins d’efficacité, les problèmes que rencontrent les outre-mer.

S’il fallait trouver un dénominateur commun à ces territoires, au-delà de leur diversité, je dirais sans doute la grande fragilité de leurs économies. Structurellement déséquilibrées, elles sont sinistrées, en dépit de la forte proportion de jeunes, par un chômage de masse. Ce phénomène nourrit la désespérance de cette catégorie de la population.

D’une manière générale, et sans vouloir faire un constat trop pessimiste, je voudrais m’appuyer sur un récent audit des politiques publiques conduites par l’État en direction des Français d’outre-mer. Ce rapport, qui a été présenté au Sénat au mois de janvier, est une intéressante étude sociologique. Il a été réalisé par le Collectif des états généraux de l’outre-mer. Son grand intérêt est, précisément, de montrer l’évolution des sentiments de nos compatriotes ultramarins, qu’ils vivent sur place ou dans l’Hexagone, sur les politiques mises en œuvre dans ces territoires.

Au-delà des problèmes fondamentaux et récurrents, qui ont trait à l’emploi, au logement, au pouvoir d’achat, à la cherté de la vie ou à l’inadaptation des modes de consommation aux réalités locales – questions qui ne pourraient trouver réponse qu’au terme de réformes structurelles –, l’inquiétante nouveauté révélée par cette étude est que la principale préoccupation de nos compatriotes d’outre-mer est désormais la crainte d’un renforcement des inégalités et d’un processus de paupérisation de leurs sociétés.

Aux problèmes de logement, de chômage et de grande pauvreté s’ajoutent les inégalités sociales. N’oublions pas non plus la démographie, qui a des effets très négatifs sur le logement, la sécurité, mais aussi la santé et la croissance économique.

Cette accumulation de difficultés, qui leur fait craindre un avenir encore pire pour leurs enfants, est d’abord le fruit d’une situation économique et sociale qui ne cesse de se dégrader. Après tout, on pourrait penser qu’il en va sur ces territoires comme sur l’ensemble du territoire national. Eh bien non ! Cette dégradation est encore amplifiée par les lourds handicaps de nos sociétés d’outre-mer.

Cela étant dit, je voudrais souligner les louables efforts accomplis par le Gouvernement en matière budgétaire, notamment, mais aussi dans la lutte contre la vie chère ou pour la régulation des prix pétroliers. De ce point de vue, j’ai apprécié votre détermination à ne pas céder sur la question de la réduction des marges des monopoles de ce secteur, monsieur le ministre.

Ainsi, des efforts budgétaires ont été consentis pour l’année 2014, malgré un contexte dit « contraint » : dans les départements d’outre-mer, le Fonds exceptionnel d’investissement, le FEI, a au moins été reconduit à l’identique, et la TVA n’a pas augmenté. Les crédits alloués aux grandes priorités, comme le logement, ont heureusement été maintenus ; certains ont même progressé, comme ceux qui sont consacrés à la jeunesse et à l’emploi.

En outre, les défiscalisations et les aides à l’investissement ont été préservées, bien que je sois critique sur la pertinence de certaines d’entre elles.

M. Jean-Jacques Hyest. Ô combien critique ! (Sourires.)

Mme Éliane Assassi. Vous me connaissez, mon cher collègue ! (Nouveaux sourires.)

Pourtant, nous le savons tous, un budget voté ne garantit pas le résultat des politiques menées.

M. Christian Cointat. C’est bien vrai !

M. Jean-Claude Lenoir. Nous le vérifions tous les jours !

Mme Éliane Assassi. Tout à fait !

Tout dépend de la mise en œuvre, qui reste aléatoire, surtout quand, au cours de l’exercice budgétaire, le Gouvernement proclame qu’il faut à tout prix, et dans tous les domaines, faire des économies.

C’est pourquoi, malgré un certain nombre de mesures positives, je pense, monsieur le ministre, que votre gouvernement ne se donne pas vraiment les moyens de résoudre les difficultés auxquelles sont confrontés nos compatriotes d’outre-mer.

M. Philippe Bas. C’est certain !

Mme Évelyne Didier. Avez-vous fait mieux, quand vous étiez au pouvoir, à droite ?

Mme Éliane Assassi. Ainsi, vous nous annoncez, monsieur le ministre, « une petite révolution pour l’outre-mer » ; elle se traduira par un projet de loi, que vous devriez prochainement nous soumettre.

Je crains surtout que ce texte ne soit que la déclinaison ultramarine du pacte de responsabilité proposé par le chef de l’État. Je ne souhaite aucunement vous faire un procès d’intention, monsieur le ministre, mais, ce pacte reposant essentiellement sur le principe d’une diminution des cotisations sociales des entreprises et une recherche à tout prix d’économies dans les dépenses publiques, je redoute par avance les effets négatifs qu’il pourrait avoir sur la situation économique et sociale des territoires dont nous parlons.

Je le redoute d’autant plus que la réduction des cotisations patronales est déjà très répandue outre-mer. J’ai donc mal compris pourquoi vous vous étiez encore engagé à remettre à plat tous les dispositifs budgétaires existants ! Je pense, très concrètement, au milliard d’euros d’exonérations de charges, au milliard d’euros de dépenses fiscales, aux 320 millions d’euros du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, aux 100 millions d’euros de TVA non perçue récupérable, ou bien encore aux 500 millions d’euros sur cinq ans du Fonds exceptionnel d’investissement promis par le Président de la République.

Je souhaiterais donc que vous me précisiez les choses à cet égard, monsieur le ministre.

Le temps ne me permettra pas de développer mon propos, mais j’aurais souhaité évoquer ici le gros problème de l’immigration à Mayotte.

Je sais que cette question n’est pas directement de votre ressort, mais je voudrais tout de même attirer votre attention sur la gravité de la situation dans ce département, monsieur le ministre.

Les spécificités géographiques de Mayotte, notamment sa proximité avec l’Union des Comores, au niveau de vie très inférieur, y rendent la pression migratoire exceptionnellement élevée et la mise en œuvre de toute politique de contrôle de l’immigration plus difficile.

Néanmoins, je considère que nos politiques en matière d’éloignement d’étrangers en situation irrégulière ou de gestion du centre de rétention administrative sont inadaptées. Pour m’être rendue sur place et avoir visité le centre de rétention de Mayotte, je peux vous dire très sereinement du haut de cette tribune que c’est un véritable scandale !

C’est la raison pour laquelle je compte beaucoup sur les négociations engagées avec les Comores pour aboutir à un accord global sur la normalisation des relations et l’intensification des échanges entre les îles de l’archipel.

Pour conclure, je formulerai une interrogation : peut-être faut-il changer le modèle économique et, partant de cela, faire évoluer des statuts permettant d’aller vers une plus grande autonomie ? Je pense que la réponse à cette question mériterait à elle seule un grand débat.

Car, à l’évidence, ni la départementalisation ni le nouveau statut des collectivités d’outre-mer, qui sont pourtant efficaces dans de nombreux domaines, ne réussissent à lutter contre ce phénomène qui est une insulte faite à l’avenir de ces territoires : le chômage chronique de leur jeunesse !

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