Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Des dispositions dont on voit les limites et les dérives pour notre démocratie

Prorogation de l’état d’urgence -

Par / 20 novembre 2015

Les sénateurs du groupe CRC se sont majoritairement abstenus (11 abstentions, 8 approbations), lors du vote du projet de loi prorogeant l’application de la loi n°55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et renforçant l’efficacité de ses dispositions.

Des dispositions dont on voit les limites et les dérives pour notre démocratie
Des dispositions dont on voit les limites et les dérives pour notre démocratie

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, il y a tout juste une semaine, des attentats d’une violence inouïe allaient malheureusement se produire dans notre capitale.

Quelques jours plus tard, l’émotion est encore lourde. Un sentiment mêlé d’incompréhension, de profonde tristesse et d’impuissance est diffus dans l’atmosphère de notre pays meurtri et du monde entier solidaire qui l’accompagne dans son deuil. Dans ce climat de tension, de peur, le rôle du politique, des membres du Gouvernement et du Président de la République est primordial.

Quelques heures après ces actes de guerre, l’état d’urgence a été décrété en conseil des ministres. La gravité des événements exigeait, nous l’avons dit, l’application de cette disposition exceptionnelle permise par la loi du 3 avril 1955. Comme l’indique son article 1er, l’état d’urgence « peut être déclaré [...] soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique ».

Toutefois, s’il est incontestable que la situation, pendant les attentats et juste après, exigeait l’état d’urgence, permettez-nous d’émettre un doute quant à sa prolongation pendant trois mois. Les notions de « péril imminent » et de « calamité publique », visées par l’article 1er, nous invitent à nous interroger sur l’installation dans la durée de cette mesure exceptionnelle qui vient affecter l’équilibre des pouvoirs au bénéfice de l’exécutif.

Nous estimons, bien entendu, que des mesures très larges doivent être prises pour faire face à la situation, mais ne peuvent-elles pas l’être dans le cadre de notre droit commun, avec un contrôle de l’autorité judiciaire ?

En parallèle à l’action nécessaire, il est de la responsabilité du politique, d’autant plus lorsqu’il est issu de la gauche progressiste, de se montrer autrement rassurant, en réaffirmant certaines valeurs et en éclairant les débats.

Si nos concitoyens sont demandeurs de sécurité, c’est avant tout pour pouvoir continuer de jouir de leurs libertés. N’est-ce pas précisément pour conserver leurs libertés que nos concitoyens souhaitent une intervention de l’État ? Dès lors, cette intervention ne devrait-elle pas s’apparenter à autre chose qu’à une surenchère sécuritaire qui dépasse l’objet de l’urgence ? Réduire nos libertés, n’est-ce pas là le projet politique et idéologique de Daech ? Vous nous accorderez le droit, monsieur le Premier ministre, de nous interroger.

La clé de voûte de ce projet de loi semble reposer sur une immense confusion pour les parlementaires et pour les citoyens : on nous enjoint de voter une loi supposée contribuer à la lutte contre le terrorisme, alors qu’il s’agit, en réalité, d’une loi sur l’ordre public, d’une loi gravée dans le marbre pour les années à venir, qui pourra s’appliquer à d’autres situations, à d’autres états d’urgence.

Il s’agit, avec cette loi, de suspendre pendant trois mois l’État de droit, de mettre entre parenthèses la chaîne judiciaire. Je souhaiterais être claire et précise pour que nos concitoyens sachent exactement de quoi nous débattons aujourd’hui.

Premièrement, souhaitons-nous prolonger l’état d’urgence, qui, en l’état de la loi du 3 avril 1955, est limité à douze jours, à trois mois ?

M. Philippe Dallier. Oui !

Mme Éliane Assassi. Deuxièmement, souhaitons-nous modifier le contenu de cette même loi, en intégrant de nouvelles dispositions sécuritaires ?

M. Philippe Dallier. Oui !

Mme Éliane Assassi. Si, concernant l’extension temporelle de l’état d’urgence, comme je l’ai évoqué plus tôt, la réponse n’est pas évidente, il faut tout au moins permettre au Parlement d’être informé, mais aussi d’interrompre par un vote l’état d’urgence.

La situation est encore moins claire en ce qui concerne les modifications matérielles de la loi. Si nous pouvons nous féliciter de la suppression de la censure de la presse et de l’instauration d’une information du Parlement, nous ne partageons pas la défiance généralisée à l’égard de notre système judiciaire qu’instaurent plusieurs dispositions, dont certaines ont été ajoutées par l’Assemblée nationale. Je pense, en particulier, à l’élargissement du régime d’assignation à résidence à toute personne dont le comportement semble menaçant, accompagné de mesures de placement sous surveillance électronique mobile – le fameux bracelet électronique. Comme d’autres orateurs, je vais citer Benjamin Franklin, pour qui « un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre, et finit par perdre les deux ».

Monsieur le Premier ministre, vous avez dit que « la sécurité est la première des libertés ». Cette phrase, je l’imagine, a été réfléchie au regard de l’histoire du XXe siècle. Vous avez reproché hier à certains députés de « s’enfermer dans le juridisme ». Pensez-vous qu’il soit acceptable de tenir de tels propos dans l’enceinte où se rédige la loi ? Le pouvoir exécutif détiendrait-il seul le pouvoir d’écrire cette loi ? Le débat doit vraiment avoir lieu, c’est la force de la démocratie, c’est notre force face au djihadisme !

Nous nous opposons à ces dispositions dont on voit aisément poindre les limites et les dérives pour notre démocratie. Notre opposition est d’autant plus ferme que nous sommes convaincus que la solution, à terme, n’est pas là. Comme le souligne l’ancien juge antiterroriste Marc Trévidic, dans la lutte contre le terrorisme, une seule cause majeure explique les insuffisances des forces de l’ordre : le manque de moyens humains et matériels de nos services de renseignement et de nos autorités judiciaires spécialisées. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Sur le plan extérieur, c’est la large coalition internationale, sous l’égide de l’ONU, qui permettra de détruire Daech et d’enclencher la reconstruction de la région. Nous appelons l’Union européenne à agir, elle aussi, dans ce sens.

D’un point de vue national, la question de la transformation profonde de la société pour renouer avec le lien social est plus que jamais d’actualité. Tous les moyens doivent être mis sur l’éducation et la culture. Interrogeons-nous : comment réagit la jeunesse des quartiers dont nous avons tant parlé en janvier ? Croyez-moi, il y a urgence, grande urgence à redonner espoir aux quartiers populaires, car rien n’a bougé de ce côté-là.

L’heure est grave, non seulement en France, mais également dans d’autres pays. Il n’est qu’à voir ce qui s’est passé ce matin au Mali. Mais ne cédons pas à l’émotion. Les guerres sont dues à une connivence contre nature entre raison, désir et colère, explique le philosophe Alain dans son essai Mars ou la guerre jugée. Ne cédons pas non plus à cette colère bien compréhensible et aux facilités de la rhétorique « martiale », sous couvert d’unité nationale ou d’union sacrée, laquelle a permis, ne l’oublions pas, monsieur le Premier ministre, les massacres de la guerre de 14-18 après l’assassinat de Jaurès. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Dallier. Il fallait oser !

Mme Éliane Assassi. En rappelant que la pluralité des points de vue est la pierre angulaire de notre démocratie, que ces assaillants terroristes veulent détruire, permettez-moi, mes chers collègues, d’opposer à ces discours de guerre une logique de paix : la lutte déterminée contre Daech doit conduire à la paix. Il faut le dire et le redire !

Dans cet état d’esprit, nous défendrons quelques amendements pour instaurer un minimum de débat, même dans l’urgence. Nous rappellerons que la France est attaquée, parce qu’elle est symbole de liberté dans ce monde.

Le texte qui nous est soumis s’inscrit dans un projet de société qui dépasse de toute évidence l’objectif de l’urgence. Ce projet de société n’est pas le nôtre, ni celui de nombreux démocrates, qui s’interrogent depuis deux jours.

Mes chers collègues, l’exercice de la démocratie n’est jamais facile, mais, au sein du groupe CRC, celle-ci s’impose toujours, particulièrement sur des sujets aussi sensibles que celui qui nous occupe aujourd’hui. Ce qui rassemble les membres de mon groupe est fort, et c’est ce qui nous permet d’exprimer parfois des votes différenciés dans le plus strict respect les uns des autres. Tel sera le cas aujourd’hui, avec des abstentions et des votes en faveur de ce texte.

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